14 décembre 1945, c’était pas le bon jour pour une naissance, il neigeait, faire 8 km en vélo en pleine nuit pour aller chercher le médecin…, par chance des jeunes gens qui rentraient d’une fête dans les alentours ont pu y aller. On m’a raconté que l’accouchement avait été difficile, et le médecin avait annoncé à ma grand-mère que ma mère ne passerait pas la nuit tant il y avait d’hémorragie. A l’époque il n’y avait pas de perfusion et on faisait des piqûres à l’eau de mer. « Epaisse comme un petit bout de lard !» ce sont les termes que j’ai souvent entendus par les voisines. J’ai  entendu aussi que ma grand-mère maternelle souhaitait un garçon. L’a-t-elle vraiment souhaité ou l’a-t-on imaginé ? Je ne saurai jamais.

Est-ce que ma grand-mère a eu peur de perdre sa fille au cours de ce difficile accouchement, m’en a-t-elle voulu inconsciemment d’avoir été la cause de cette angoisse ?  Si même cette angoisse supposée trouvait sa source dans son profond égoïsme, celui de perdre son bien, sa possession ? A-t-elle eu peur que l’affection de ma mère soit portée sur moi et plus sur elle ? Ces questions expliqueraient sa dureté vis-à-vis de moi.

Quant à ma mère, totalement sous l’emprise de cette mère autoritaire, exclusive et possessive ne s’est certainement pas autorisée à m’aimer de peur de décevoir cette mère à qui elle était entièrement soumise.

S’est elle seulement autorisée à aimer mon père, lui aussi exclus par sa mère ? Papa, absent à ma naissance, loin, en Suisse, pour son travail.

Ce mari qu’elle a laissé s’en aller, faute d’avoir su s’imposer face à sa mère. Alors que tout était prêt pour aller le rejoindre définitivement et qu’elle était enceinte de moi, que tous les papiers administratifs avaient été préparés, cette grand-mère a tout fait pour empêcher ma mère d’aller le rejoindre. C’est en Suisse que j’aurais dû naître,  mais au dernier moment ma mère a cédé sous l’emprise de cette mère despotique. C’est ainsi que mes parents ont toujours vécu séparés. Mon père en a beaucoup souffert.  Il n’a pas eu la vie qu’il méritait et moi j’étais privée de lui comme lui de moi. A presque 80 ans aujourd’hui je ressens de la culpabilité à l’idée que c’est peut-être à cause de moi que tout cela est arrivé, même si ma mère a accepté qu’il s’en aille sous l’emprise de la sienne et lui a accepté de s’effacer.

Ce qui est certain, c’est que depuis toujours j’ai senti le rejet de la part de ces deux femmes.

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